L U M E N A
LA VOCATION DES SERVANTES.
(Regards sur l’économie des vocations)
À Alice
Ce temps où se découvre dans
l’Eglise-institution le champ d’une libre parole ne serait-il pas de ceux,
généralement inespérés, où des brèches ouvertes dans l’Histoire offrent un
passage aux questions les plus dérangeantes ? Ces moments où l’air tout à
coup s’agite, où le non-dit paraît soudain exprimable, où les contestations
étouffées semblent pouvoir se développer comme une voile qui se gonfle, où
l’imagination créatrice ou réparatrice jusque là contenue est à même de se
donner libre cours, faudrait-il les laisser passer par aquabonisme, ou
bien doit-on les saisir pour ‘’tout mettre sur la table’’ et tout faire
bouger ?
Parmi bien d’autres, deux précédents
historiques font assurément pencher la balance en faveur de l’audace.
La convocation des Etats-Généraux de
1789, d’abord, à partir de laquelle, en quelques mois, toute l’architecture
organique de la société d’Ancien Régime disparaîtra et se verra substituer un
ordre juridique radicalement neuf et une somme si considérable de novations et de transformations que la
monarchie en sera finalement emportée.
L’autre exemple appartient à ma
génération, celle qui a eu 20 ans en 1968. Qu’on considère en effet le
soulèvement d’idées qu’ont représenté ‘’les évènements’’ d’alors, et au-delà de
l’échec qu’a connu sur le moment le mouvement contestataire engagé le 22 mars 19 68,
l’ampleur des changements qui sont venus percuter la société française dès
l’immédiat après mai 68. Ou qui ensuite - comme autant de répliques d’un
séisme, mais étalées sur plusieurs décennies - ont fossilisé l’une après
l’autre les représentations tutélaires qui référençait encore la France à
l’ordre moral du siècle précédent, ou qui sont venu à bout de pesanteurs qui
lui conservaient un visage à la fois patriarcal et franchouillard.
On peut ainsi regarder comme le
dernier en date des contrecoups de la subversion dont est partie il y a plus de
quarante ans le remodelage de notre référentiel sociétal, l’ouverture
frénétiquement combattue mais finalement accomplie du droit au mariage pour les
couples homosexuels. Des contrecoups qui avant celle-ci, par avancées
successives, ont produit l’abaissement à 18 ans de l’âge de la majorité, la
libéralisation du divorce, le droit à la contraception puis à l’IVG, ou encore
l’instauration du PACS. Liste non exhaustive qui peut comprendre jusqu’à
l’abolition de la peine de mort.
Ces avancées du droit ont été
accompagnées et portées par un mouvement de fond qui contient peut-être le plus
significatif de ce remodelage libérateur : le bouleversement sur un
demi-siècle des mentalités et des comportements dont l’étendue se lit dans la
proportion des enfants conçus aujourd’hui hors mariage, dans la banalisation
des couples formés ou décidés à vivre dans une autre forme d’union, et dans
l’émancipation - hors minorités ciblées - de la servitude à laquelle l’emprise
multimillénaire de la sacralisation de la virginité condamnait le sexe féminin.
Pourquoi mettre en avant ces deux séquences, pourquoi entrer dans
le détail de la rétrospective s’agissant de la seconde ?
Simplement pour que l’énumération de
tant de changements, et de changements d’une importance aussi capitale, donne
toute sa dimension au vœu que forme pour l’Eglise son ‘’aile marchante’’, vœu
qui peut se traduire sous la forme d’une interpellation que cette aile
marchande s’adresserait à elle-même : que l’Eglise connaisse demain,
dans ce qu’elle a en propre, une surabondance comparable de bouleversements et
de renversements, n’est-ce pas là, au fond, tout le mal qu’on lui
souhaite ?
Surtout si cette surabondance comble
l’attente de nouvelles lectures du dogme, de nouvelles approches doctrinales,
et d’une façon plus générale d’un aggiornamento à la hauteur du besoin
d’actualisation et de renouvellement qui vise l’appareil conceptuel et les
modes de discours, de cérémonial et d’organisation. Une attente dont la prise
en compte a été si longuement retardée, qu’on a si longuement refusé d’entendre
une fois desséchés les fruits de l’embellie de Vatican 2, que le risque à
présent est d’être réduit à départager deux probabilités concurrentes de
rupture : un schisme des Eglises nationales arc-boutées sur un ne
varietur intégral versus un schisme de celles dont les fidèles n’en
pourront plus d’avoir tant attendu le moment d’une écoute confiante du monde.
L’espérance fait certainement devoir
de ne pas s’arrêter à ce double risque. Dès lors, si l’on envisage le processus
révisionniste dont a dessiné les lignes comme la subversion de digues qui
protègent infiniment moins qu’elles n’obstruent et n’ensablent nos étroites
voies d’accès à la transcendance et de partage de son projet, une conviction
raisonnée s’impose à l’esprit : dans ce parcours de libération et de
redécouverte du sens, le combat pour l’égalité de statut du féminin -
une égalité de statut spirituel et une égalité en découlant de vocation
sacramentelle et de capacité fonctionnelle dans l’administration humaine de la
foi - constituera assurément ‘’la mère des batailles’’. De par
les effets directs de la reconnaissance de cette égalité, et de par toutes les
implications de cette reconnaissance, que celles-ci soient discernables ou non
à l’instant présent.
Ce parcours passera par le franchissement de plusieurs verrous. Le premier d’entre eux est l’obligation du célibat pour les ministres ordonnés. Non certes en ce que cette obligation concernerait ou discriminerait les femmes, mais parce que sa construction articule deux présupposés irrecevables sur lesquels repose également l’abaissement du féminin - encore que de nos jours l’argumentaire justificatif du célibat des clercs se fasse discret au sujet de l’un et de l’autre.
Il s’agit en première part de la
hiérarchisation des vocations qui sous évalue ou dévalue celle qui est
vécue au sein du mariage (on entend ici ce qui fait la substance de cet état
et non le sacrement en lui-même), celle qui se construit et agit à partir
de l’amour échangé dans un couple humain. Une hiérarchisation qui traduit rien
moins qu’une dépréciation du mariage, le ‘’regnum uxorium’’, paradoxale
au regard de la force contraignante d’indissolubilité dont celui-ci se trouve
chargé (et accablé), et surtout étrangère à l’Evangile qui confère à l’amour
qui fonde le couple la capacité d’accomplir la com-union de deux êtres en une
seule âme et en un seul corps. La dévalorisation de cette capacité englobe
inévitablement la part égale que prend la femme dans l'apparition de cette
unicité d’être, - unicité où peut se lire une préfiguration de l’insertion à
venir de la création dans la transcendance-, et dans la consécration du
mouvement d’âmes qui y préside.
Le second présupposé comporte une
dépréciation encore plus violente : celle qui en rupture avec le judaïsme,
est présente dès les tout premiers pas du christianisme et qui tient à ce que le
regard sur le mariage s’arrête à l’image de souillure qui vient alors
s’attacher à la sexualité : une vision - imputable à un courant nouveau de
représentations qui pénètre le monde romain ? - qui pour des siècles, va
réduire la relation amoureuse du couple, comprise comme l’espace quadrillé
d’interdits [1]
des ‘’actes réservés aux époux’’ (quelle idée de la tendresse conjugale
se lit dans cette définition hélas toute contemporaine !), à la fonction de
reproduction que lui assigne la perpétuation de l’humanité et au rôle
disculpant d’exutoire par où s’épanche la lubricité de l’homme.
Et une vision qui rétrécira
dramatiquement l’enseignement sur l’amour humain en ignorant que ce ne peut
être un hasard ou une nécessité parmi d’autres si la reproduction sexuée est
venue à travers d’autres espèces jusqu’à nous, mais pour que le don de la vie
soit voué à s’accomplir dans une exultation du corps et de l’âme, dans
l’exultation de l’unicité de corps et d’âme que consacre la fusion amoureuse.
Autrement dit pour que l’amour
produise la vie (ce qui vaut hors transmission biologique) comme il a
originellement produit la Création. Et pour qu’au-delà du don de vie, le couple
amoureux - tout couple amoureux - vive dans la relation sexuelle une
incarnation de son union : derrière l’affirmation de la grandeur de la
sexualité humaine, l’image ou l’évocation de l’incarnation du Verbe ne
s’imposent-elles pas d’elles-mêmes à l’esprit ?
Mais le verrou principal qui est
appelé à ‘’sauter’’ concerne bien entendu l’exclusion des femmes des ministères
ordonnés. Une exclusion intenable, et vécue d’abord comme telle en ce qu’elle
est incompréhensible au regard du rôle à la fois d’actrice et de témoin-clé qui
a été attribué à celles-ci des Noces de Cana à la première rencontre au tombeau
avec le Fils de l’Homme ressuscité en passant par la résurrection de Lazare, ou
de réceptrices de messages essentiels tel celui qui annonce l’Incarnation ou
celui délivré devant la Femme adultère. L’argumentaire qui la soutient ne
produit au reste que des raisons paresseuses : la place et les fonctions
imparties aux femmes dans le temps messianique (notamment par des règles et
normes que le Rabbi Jésus dépasse ou remet à leur niveau) sont-elles
fondatrices d’une Tradition, ou la simple observation historique d’une réalité
sociologique patriarcale qui dans ses caractères spécifiques et dans son environnement
culturel est datée et géographiquement localisée ?
Et intenable, cette discrimination
l’est tout autant parce que le critère de départage qui l’institue érige un mur
au plein milieu des créatures humaines en déterminant en fonction de leur sexe
autour et au bénéfice de qui se referme l’habilitation à se mêler ‘’des
affaires de Dieu’’. Un mur infranchissable dont les gardiens s’emploient à nier
ou à occulter que pour eux et au fond d’eux-mêmes, il marque la frontière
voulue par l’ordre de la nature entre la prééminence dévolue au masculin et
l’infériorité assignée au féminin, une frontière que l’impureté
consubstantielle à ce féminin figurée depuis la nuit des temps, rend d’autant
plus nécessairement immuable.
Verrouillage à l’intérieur d’un verrouillage,
cette image d’impureté, ancrée dans tant de civilisations, perdure comme la
plus exemplaire des déraisons qui, depuis des millénaires, font le malheur de
la moitié de l’humanité [2].
Comment concevoir que la raison reste impuissante à la dissoudre par la
dénonciation de son inanité et de sa malfaisance ? Elle laisse pourtant
bien voir ce à quoi elle se réduit : une représentation mentale qui
puise ses constituants dans notre cerveau archaïque, et qui - pour
l’interprétation qu’on se risque ici à proposer- s’est connectée dans celui-ci
à une perception primitive et ambivalente du sang pour la projeter sur le
féminin. Une perception qui, schématiquement, aurait conjugué la promesse
d’assouvissement de la faim suggérée par la vue du sang du gibier blessé et la
menace vitale que signale à l’individu humain l’écoulement de son propre sang,
et qui aurait structuré l’association inconsciente de la première avec le sang
hyménal et celle de la seconde avec le sang menstruel.
Association qui, si on l’admet, relie
son premier référent aux sacralisations de la virginité, comme elle fait
pénétrer le second, par le jeu de reflets inversés, dans la substance des
sanctifications ou des déifications de la fécondité. L’ombre portée de ces
sacralisations et de ces déifications - mêlant célébrations transculturelles
des divers types de Vestales et anciens cultes de la Déesse-Mère - a enveloppé
un christianisme qui s’est bien peu gardé de ne pas y inscrire ses pas. Si bien
que la récusation de l’appareil conceptuel au moyen duquel le féminin y a été
muré dans un statut d’infériorité passe par l’invalidation de l’imaginaire
sexué autour duquel s’est formé le binôme pureté/impureté qui se veut
l’abrégé de la condition de l’autre genre de l’humain.
Une réduction d’autant plus haïssable
que les mythologies discriminantes du féminin et leurs représentations
fantasmées du physiologique et du biologique offrent aux pires obsessions et
perversions de quoi s’assouvir et se masquer. De ce que ce fantasmé se perpétue
en vecteur d’une soumission violente au masculin, est-il preuve plus évidente
que celle qui ressort de l’assimilation mentale et physique de la défloration à
un viol [3]?
Plutôt qu’à un troisième verrou à
ouvrir, c’est plutôt à la perspective d’un dépassement supplémentaire qu’amène
à ce stade la réflexion. Un dépassement qui se profile dans la continuité d’une
conquête de l’égalité sacerdotale par le féminin, mais qui porte en lui
d’élever - comme c’est généralement le cas dans l’Histoire- une victoire des femmes en avancée collective.
Ainsi en a-t-il été naguère du droit de vote accordé aux femmes : sa
signification véritable se lit aujourd’hui, non comme le succès final des
suffragettes, mais comme l’accomplissement de la démocratie - une démocratie
jusque là imparfaite, et même infirme, en ce qu’elle excluait du suffrage
prétendument universel la moitié des citoyens. Plus près de nous, le droit à la
contraception a d’abord été une incomparable libération des femmes - celle de
la fatalité des grossesses -, mais avec le recul, il s’inscrit dans nos mœurs
comme la possibilité donnée à tous les couples hétérosexuels de s’ouvrir à une
vie amoureuse où leur relation intime peut s’exprimer et s'embellir en se
concentrant sur ses richesses autres que l’enfantement, ce dernier devenant
désormais un choix et non plus un piège et un sujet d’angoisse.
Ce dépassement repose sur une
interrogation : si une barrière aussi haute que celle de la discrimination
des femmes devant le sacerdoce peut tomber, comment envisager que rien ne
vienne jamais remettre en cause cette autre frontière placée au cœur de la foi
qu’est la différenciation multiséculaire du clerc et du laïc, c’est à dire
la dévolution de la fonction sacramentelle à un corps sacerdotal, et à lui
seul. Un corps sacerdotal ainsi investi d’un pouvoir charismatique qui le
sépare des fidèles et détenteur d’une primauté organique arguant d’une
validation mystérieuse et quasi magique. C’est là un questionnement auquel la
Réforme a largement répondu et dont on sait qu’il progresse autour de nous.
Vis à vis du ministre du culte que
nous connaissons, l’idée d’une abolition de cette distinction clerc/laïc
n’amène pas à méconnaître ce qui légitime son statut différencié : un
degré supérieur de connaissances théologiques, d’expertise exégétique et,
corrélativement, d’aptitude à accompagner l’investigation spirituelle, auquel
s’ajoute bien sûr sa formation liturgique ; et, de par son parcours
d’études philosophiques et/ou son expérience d’animateur des engagements d’une
paroisse, sa capacité à éclairer les référentiels éthiques. Mais à se
représenter ce ministre ordonné comme appelé à se redéfinir en ‘’ministre
diplômé’’(ou en ministre ‘’qualifié’’). Et ce, sans perdre de vue que les
compétences auxquelles son expertise affecte ce ‘’ministre diplômé’’ ne sont
pas, n’ont jamais été, exclusives et partant opposables au ‘’simple fidèle’’
coparticipant au sens de la foi, au discernement de la vérité et à la
grâce de la parole.
Le déplacement des lignes séparatives
entre clercs séculiers et laïcs pour l’accomplissement des sacrements ouvre en
revanche un débat fondamental eu égard à l’économie des habilitations sur
laquelle le catholicisme s’est configuré. Le bouleversement qu’induirait une
novation de cet ordre serait-il pour autant si considérable ? Les sacrements
en connaîtraient-ils un changement majeur, en seraient-ils affectés dans leur
sens et dans leur portée ?
Du baptême (où à peu près rien sur le
fond ne serait modifié) à l’onction du Passage, du mariage (ou le prêtre
n’intervient que comme témoin) au sacrement de réconciliation, ces
interrogations se soldent apparemment par la négative. D’autant que le ‘’simple
fidèle’’ pourrait toujours, au cas par cas, apprécier en conscience, et plus
spécialement pour le sacrement de réconciliation lorsqu’une inquiétude
spirituelle ou éthique pèse sur la ou les fautes en cause, s’il convient qu’il
se tourne vers un ministre du culte, ou se faire une règle, par choix
personnel, de toujours recourir à l’assistance de celui-ci.
La portée que revêtirait l’admission
de l’intégralité des baptisés à la fonction sacramentelle ne s’évalue en
définitive que par rapport au seul sacrement eucharistique, par
rapport à l’impact qu’aurait l’accession des laïcs à l’accomplissement de ce
dernier. Un impact qui renvoie à cette question : la recommandation
messianique « Vous ferez cela en mémoire de moi » appelait-elle les
Apôtres à instituer une classe sacerdotale qui perpétuerait les mots et les
gestes de la Cène et leur donnerait effet, ou, formulée dans un repas entre
Juifs, mêlée aux bénédictions de ce repas pascal et insérée dans les
prescriptions de la Loi qui y étaient observées, enjoignait-elle de reproduire
le rite que créait le Fils de l’Homme au moment de passer par la mort, et de
faire de ce rite le signe que le peuple de la nouvelle alliance aurait à placer
au centre de tous ses partages et de toutes ses action de grâce, i.e. de
sa communion ?
On objectera à qui retient la seconde
interprétation que rien ne garantirait qu’un laïc ‘’de base’’ pratiquant le
sacramental de l’eucharistie serait pénétré de la juste signification du « Ceci
est mon corps … ceci est mon sang », et que les représentations qui
l’habiteraient seraient rigoureusement conformes à l’enseignement de l’Eglise.
Mais la répétition du « Ceci est mon … » a-t-il d’autre sens que de nous
placer devant le mystère des mystères, celui qui touche à l’Incarnation du
Verbe, à toutes ses incarnations y inclus les invisibles ? Autre façon de
le dire : l’annonce des incarnations à venir qui est contenue dans le « Vous
ferez cela … » ne se suffit-elle pas à elle-même, de sorte que nous ne
sommes pas appelés à nous figurer la nature de ces incarnations et de la
présence de la transcendance qu’elles promettent, et encore moins à nous
hasarder à spécifier leur substance dans des concepts explicatifs (autre nom
des dogmes) ?
Avançons d’une cran encore le
questionnement : ce que le célébrant a en tête en prononçant ces deux « Ceci
est mon … » - que ce soit la célébration de la mémoire de la Cène, une présence
symbolique ou une présence réelle, une consubstantiation ou une
transsubstantiation, ou encore une ‘’union sacramentelle’’ ou une ‘’présence
objective’’ - ne compte-t-il pas pour rien en comparaison du don que constitue
pour l’assemblée réunie autour de lui, la participation au mystère le plus
expressif de l’amour de Dieu ? Idée qui peut se résumer ainsi :
prêtre catholique, pasteur luthérien, pasteur calviniste, laïc se reconnaissant
dans la transsignification …, qu’il soit dispensé par l’un ou par un autre, le
sacrement en tant qu’il est toujours ce don partagé, ne sera rien d’autre que
ce don, et d’abord pour celle ou celui qui le reçoit. Ce qui le validera et
ce qui suggère que la communion la plus accomplie, pour celui/celle qui
préside à l’actualisation de la Cène comme pour celui/celle qui mange le pain
et boit le vin, procède d’un vide volontaire de l’entendement, qu’elle requiert
l’absence de toute intellection préétablie du sacrement pour que la
perception de l’incarnation attendue soit seulement celle de l’épiphanie d’une
Présence. Et pour qu’elle soit pleinement ouverte à la pénétration de la
grâce intime et indivise qui entoure cette épiphanie, grâce où se projette
celle qui enveloppait les convives du Cénacle et flottait sur leur tablée.
Si le signifié du rituel de la Cène a
été livré à l’état d’inconnaissable, s’il est voué pour l’universalité des
croyants à demeurer tel jusqu’à la parousie - en suggérant tout au plus les
contours d’une incarnation et, à travers les espèces, d’une incarnation
incorporelle (contradiction entre les termes qui donne la mesure de ce qui
nous est impénétrable) -, alors la classe sacerdotale et les laïcs sont
confrontés à égalité à un signe de communion dont la dimension est
incommensurable mais dont l’acception de l’énoncé ne peut se déchiffrer et qui,
partant, résiste à toute transcription dogmatique.
Et s’il est loisible d’en tirer
abruptement la conséquence, l’égalité face à l’indéchiffrable
n’implique-t-elle pas l’égalité dans l’approche sacramentelle de cet
indéchiffrable ? Une égalité qui entraîne que le geste eucharistique
‘’tombe dans le domaine public’’ et cesse de pouvoir se confondre avec un tour
de magicien requérant initiation préalable et allocation d’un pouvoir
spécifique.
Les trois mouvements qu’on a décrits
enchaînent trois interpellations adressées à l’Eglise-institution : pour
qu’elle se libère du dégoût et de la peur du sexe [4]
et du dégoût et de la peur du féminin, et pour que cette double libération
coïncide avec l’achèvement d’un temps historique où un corps sacerdotal,
exclusivement masculin et célibataire, a détenu seul toute l’étendue des
charismes et de l’autorité. Apparier ainsi le détachement de dégoûts et de
peurs qui ont façonné les représentations mentales de la hiérarchie sacerdotale
et le dépassement de la dichotomie clerc/laïc, répond à la certitude que
l’apparition parallèle et concomitante de ces deux émancipations de
l’entendement est la condition première d’un élagage des branches mortes de
l’institution.
Une certitude qui se conforte de
l’interaction qui fait lien entre la répulsion [5]
attachée à la sexualité humaine et au sexe féminin et la pérennisation du
monopole cléricalo-masculin sur le sacramentel. La démarcation que cette
monopolisation trace aujourd’hui au sein du peuple des baptisé(e)s ne
compte-t-elle pas au nombre de ses bornes frontières, sous-jacent à
l’argumentaire théologique et capable de survivre à l’effritement de celui-ci,
le parti-pris de l’exclusion des femmes des ministères ordonnés ?
Bien d’autres partis-pris entrent dans
la composition d’une pesanteur doctrinale qui est devenue culturellement et
sociétalement aussi indéfendable qu’elle est largement récusée. De cette
récusation, un signe probant peut être tiré de ce que dans notre société, la
morale enseignée par l’Eglise romaine tend à n’être plus associée qu’à la
pénalisation de la sexualité et à la récusation de droits parmi les plus
constitutifs de l’égalité des femmes, et de ce que déclarer son adhésion à
l’une et à l’autre concoure à identifier le ‘’catholique pratiquant" des
catégories sociologiques. Les branches mortes qu’on a ciblées désignent
d’abord un positionnement réglementariste du magistère face aux épreuves de la
vie dont suffit à rendre compte la ségrégation infligée aux divorcés remarié,
et, au-delà, une négation systémique de la grandeur propre à la chair dont
témoigne, outre cinquante années d’enténèbrement sur la sujet de la
contraception (pour ne rien dire de la condamnation de l’IVG ou des
manifestation dites ‘’pour tous’’), l’interminable entêtement dont l’obligation
du célibat pour les clercs séculiers est l’objet.
Cependant, tout donne à penser que les
renversements espérés auront bien pour point de départ, pour impératif initial,
l’accession du féminin à un statut d’absolue égalité. De cette
reconnaissance dépend que l’Eglise se réinsère dans le mouvement et dans les
mentalités des sociétés européennes dont elle s’est retranchée au XVIII ème
siècle en se fermant à un temps et à un esprit nouveaux. Et c’est bien pour
s’inscrire dans cette assignation que le présent texte a été titré ‘’LA VOCATION DES SERVANTES’’.
Et comment le conclure plus à propos que
par ces deux citations qui étaient rapprochées l’une de l’autre dans un récent article
de ‘’Marianne’’ signé d’Eric Conan : « La femme est l’avenir de
l’Eglise ».
La première de Romain Gary :
« Le
premier à avoir parlé d’une voix féminine, c’était le Christ. La parole du
Christ constitue pour moi l’incarnation même de la féminité. Je pense que, si
le christianisme n’état pas tombé entre les mains des hommes, mais entre les
mains des femmes, on aurait eu aujourd’hui une tout autre vie, une tout autre
société, une tout autre civilisation ».
La seconde du pape François :
« L’Eglise est femme, l’Eglise
est un mot féminin, on ne peut pas avoir de théologie sans cette féminité ».
Didier LEUWEN -
9
novembre 2015 *
* Cet article est tiré d’un commentaire consacré
au texte d’Alice Damay-Gouin «Quel est mon trésor ?» qui est
paru le 28
septembre 2015 sur le blogue ‘’aubonheurdedieu-soeurmichele’’.
Un résumé en a été publié le 10
novembre 2015 sur le même blogue ‘’aubonheurdedieu-soeurmichele‘’
dans Invité-es .
L’article a par ailleurs été publié début 2016
sur le site du Wijngaards
Institute for Catholic Research
[ http://www.womenpriests.org/ ministry/levy.asp ]
Publié par
"penserlasubversion" dans "collection LUMENA".
Publié par "penserlasubversion" dans "collection LUMENA".
[1] Je
renvoie ici à Georges Duby (‘Le chevalier, la femme et le prêtre’’) et aux
pages où celui-ci explique qu’au Moyen Age la recherche du plaisir au sein du
mariage est jugée un péché aussi grave que l’adultère. Conception qui demeurera
dominante bien au-delà du XIIIème siècle …
[2] Ce qui
ne vaut pas pour le judaïsme où l’impureté possède une connotation
spirituelle spécifique.
[3] Pour
ce qui est de la sacralisation de la virginité - celle qui a pu conduire en
‘’théologie mariale’’ à une formulation telle que « sa virginité n’a
pas été lésée (!) » -, la dimension de perversion qui s’y
attache est on ne peut plus fortement illustrée par la captation sur les
réseaux de ce prédicateur de l’islam intégriste affirmant à ses ouailles qu’’’au
Paradis les femmes retrouvent leur virginité après chaque rapport sexuel’’.
L’inconscient a ainsi de ces partages de fixations entre monothéistes …
[4] Les
atténuations, certes non négligeables sur le fond, qu’a connues leur expression
depuis quelques décennies ont été si mesurées, tellement ‘’hors sol’’, que leur
impact sur les mentalités et les représentations paraît non significatif - et
même non mesurable s’agissant de nombre de clercs, de ‘’voix autorisées’’ et de
pieux notables ….
[5] Le
mot ‘’répulsion’ peut sembler excessif mais, le concernant et concernant
l’importance qu’on a donnée à la problématique du dégoût, comment ne pas persister
et signer car il y a bien eu répulsion de la chair de la femme, en même
temps qu’il y a eu répulsion de l’acte de chair et répulsion de la chair
elle-même (inconnue du judaïsme qui bénit le don des orifices nécessaires aux
fonctions naturelles). Si le ‘’Inter faeces et urinam nascimur’’ -
lisible comme le pire blasphème adressable à Celui qui a crée l’humain à son
image et dispensé l’amour comme source de la vie - est controversé et sans
auteur avéré, il réfère indéniablement à cette triple aversion que les modes de
pensée de notre modernité ne sauraient plus regarder que comme le produit d’une
emprise névrotique et comme le nœud d’arriérations aussi aliénantes
qu’intrinsèquement malsaines.
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